Jean Charles Naouri - Patron de Casino, Rallye et Euris

Il y a une chance sur deux que tout ce que vous achetez provienne de ses magasins, même si votre supérette ne s’appelle pas Casino. Il n’a pas hérité d’une entreprise familiale comme d’autres et ses premières études le projetaient plutôt vers un destin de mathématicien. Plus tard il a été retrouvé dans les couloirs politiques. C’est un homme hors du commun, un énarque qui s’est fait épicier, un épicier qui a fait fortune, un fortuné qui aura quand même inscrit durablement son nom dans les finances publiques à travers le fameux « Rapport Naouri ». C’est un Français et sans doute un des plus riches Français. Son empire s’étend de Salvador à Turin. Il s’appelle Jean-Charles Naouri.

Enfance de Jean-Charles Naouri

Jean Charles Naouri est issu d’une famille juive séfarade. Il est né le 8 mars 1949 en Algérie à Bône, ce qui en fait un parfait « juif pied-noir ». Son frère Jean-Yves Naouri est lui aussi homme d’affaires, tout comme le fils de Jean-Charles, Gabriel à qui il rêve de laisser la direction de ses affaires. Il est né d’un père pédiatre et d’une mère agrégée en anglais.

Un “épicier” mathématicien

On aurait pu dire « l’épicier latiniste ». A 14 ans, le petit Jean Charles remportait le concours général en étant le premier pour le latin, mais aussi pour le grec. Lorsque l’année suivante, il obtient son bac, c’est pourtant en mathématiques qu’il va s’inscrire, à la Normale Sup sciences.  Et pour faire les choses de manière originale, il ne se contente pas d’être admis au concours d’entrer, il bat le record de Pointcarré et obtient plus de points que celui-ci.

Dans leur livre La Caste cannibale : quand le capitalisme devient fou, (Albin Michel, 2014), Sophie Coignard et Romain Gubert, rapporte une anecdote qu’a racontée un de ses camarades de Prépa Sup Alain Minc, à son propos : « au cours d’un examen de Maths, il rend sa copie en moins d’une heure et va faire du yoyo. Tous ces camarades s’imaginèrent qu’il avait rendu une copie vierge. Ils découvrirent plus tard qu’il avait juste très bien et très vite fini l’épreuve. Il eut la meilleure note.

Il va entre-temps à Harvard faire une petite initiation au business, mais revient finir son doctorat. Une année lui a suffi pour obtenir le finir, alors qu’on y consacre trois en moyenne. On voyait en lui un espoir pour les mathématiques françaises. Mais on sera vite déçus. Il ne s’enfonce pas dans un laboratoire. Puisqu’il avait fait une formation à Harvard, on se dit, du moins, on se doute qu’il ressemblera à son père qui, de médecin de formation qu’il était a fini par devenir homme d’affaires. Mais, Jean-Charles ne se pose pas devant un comptoir pour faire des affaires. Il rentre à l’ENA en 1974. En 1976, il en sort inspecteur des finances en 1976. Il était dans la botte de la promotion Guernica. En 1982, il est directeur du cabinet de Pierre Bérégovoy, d’abord au ministère des Affaires sociales puis à la tête du ministère de l’Économie et des Finances. Bérégovoy était socialiste, mais ça, c’était son affaire. Naouri le dira plus tard : « Je ne voulais pas être prisonnier d’une étiquette. La politique, c’était Bérégovoy, et la technique, c’était moi. » N’empêche. Il fera son travail de technicien à la perfection. Il pose les jalons d’une modernisation de l’économie française et engage de nombreuses et audacieuses réformes des marchés financiers. On lui doit entre autres la création du MONEP, du MATIF, l’émission des billets de trésorerie, les certificats de dépôt…Son fameux Livre blanc sur la réforme du financement de l’économie encore appelé « Rapport Naouri » avait fait trois propositions majeures : unifier le marché des capitaux, supprimer les prêts à taux bonifiés, mettre fin à l’encadrement du crédit. Ces réformes ont apporté un véritable souffle à l’économie française et ouvert l’accès des marchés financiers aux entreprises. Cependant, certains économistes ont boudé et boudent encore la réforme de Naouri et ce n’est pas sans ironie que Kateb ramène le débat de l’encadrement des crédits : « Il serait peut-être temps de réfléchir à un nouveau paradigme bancaire et monétaire afin de sortir des cycles destructeurs du capitalisme de casino » Il faut voir dans le mot casino un tacle ostentatoire à Naouri, le PDG du groupe de distribution Casino. Pourtant d’autres pensent, comme Nicolas Colin, qu’il faut pour la France un nouveau rapport Naouri pour une révision du financement de l’économie française. Quoi qu’il en soit, qu’on haïsse ou qu’on applaudisse ses réformes, Naouri aura durablement modifié l’économie politique en France.

En 1986, Jacques Chirac devient Premier ministre. Cette ascension de la droite entraîne pour Jean-Charles Naouri sa mise à l’écart au sein du ministère des Finances. Tous les énarques doivent travailler dans la fonction publique pendant au moins 10 ans. Naouri est un énarque qui a déjà fait 10 ans dans la fonction publique. Naouri est mis au piquet par la droite. Naouri met les voiles et accoste à Rothschild & Cie Banque. Là commence la deuxième vie du mathématicien-latiniste.

Un homme d’affaires subtil et habile

Tout en travaillant à la Banque en tant qu’associé-gérant, Jean Charles Naouri crée Foncière Euris, son fonds d’investissement. La chose est facile à cause de son passé au sein du ministère des Finances où il avait incontestablement constitué un riche réseau et un carnet d’adresses fourni. Grâce au fonds, il prend des parts dans plusieurs entreprises industrielles. C’est à cette époque qu’il trempera dans l’affaire du raid de la Société Générale. Il sera inculpé, avec 9 autres personnes dont Bérégovoy pour délit d’initiés et d’enrichissement personnel au moment de la tentative de privatisation de la Société Générale. On leur reprochait notamment d’avoir spéculé sur les actions avant le raid boursier, au deuxième semestre de 1988. C’était le plus long procès de l’histoire de la justice française. Naouri sera relaxé le 21 décembre 2002, après 14 ans d’instruction.

Grâce à son carnet d’adresses, il crée un système de holding, ce qui lui permet de garder un parfait contrôle d’Euris. Pour sécuriser son investissement, il réorganise la stratégie des entreprises où il investit. En 1991, il rachète Rallye. C’est une suite de magasins créée en 1945 par Jean Cam. Deux ans avant son rachat par Foncière Euris de Jean-Charles Naouri, le Holding Rallye avait acquis sept hypermarchés.

Ce Casino où l’on ne joue pas

En 1992, Rallye devient actionnaire de Casino et détient 28% des parts. Sans le savoir, Jean-Charles vient de rentrer dans le Casino où il jouera pour le restant de sa vie. Car le groupe doit bien son nom à un casino. Questionnons l’histoire. Le nom Casino est venu de la première épicerie qui se trouve à l’origine du groupe. En 1892, il y avait un casino à Saint-Étienne et dans ce casino, une épicerie. Un entrepreneur français du nom de Geoffroy Guichard rachète l’épicerie et en fait une alimentation généraliste. Une première succursale sera installée dans la Loire, à Veauche six ans plus tard. Le 2 août 1898, la Société des Magasins du Casino et Établissements Économiques d’alimentation verra le jour. Un siècle après, une offre publique d’achat (OPA) est lancée contre le groupe par le distributeur Promodès, en 1997. Il faudra quatre mois de lutte boursière pour que Jean-Charles Naouri parvienne, avec la famille Guichard, à mettre l’OPA en échec. La société Rallye obtient alors la majorité des parts du groupe (54%). Le génie qu’il était avait flairé la rentabilité que pouvait avoir la distribution. Il s’emploiera alors à développer l’empire Casino. Pour commencer comme il se doit le deuxième millénaire, il marque l’an 2000 par l’acquisition de quatre enseignes : Monoprix, Franprix, Leader Price, Cdiscount. L’année suivante, il crée une banque, la Banque Casino et aussi Mercialys, la puissante foncière exclusivement consacrée aux centres commerciaux.

En 2005, Naouri prend la tête du groupe et met en place un management fluide, simplifiant le circuit des décisions, afin de rendre le groupe plus dynamique. D’un point de vue stratégique, décide de se concentrer sur les pays en essor économique comme le Brésil, le Viêt Nam, en Thaïlande et en Colombie. Dans le même temps, il se départit d’une partie des magasins non stratégiques en Pologne, aux États-Unis, à Taïwan et aux Pays-Bas, soit environ 1,5 milliard d’euros. Mais ces décisions audacieuses portent bien vite leurs fruits dès l’année suivante. En France, le groupe compte 8 000 magasins avec les principales enseignes, obtient en 2010 les parts de Carrefour en Thaïlande. Deux ans plus tard, le groupe Casino prit le contrôle du numéro 1 de la distribution au Brésil : le Grupo de Açúcar. Peignons ce groupe en chiffres pour que l’on comprenne son importance dans le chiffre d’affaires de Jean-Charles Naouri : 20,2 milliards d’euros de chiffres d’affaires, 159 000 collaborateurs et environ 1 600 magasins. Autant dire que c’était l’une des plus grosses prises de l’épicier mathématicien. Le groupe Casino a pris donc un véritable envol et en 2013 obtient le Groupe GPA au Brésil et Monoprix en France.

Cette implantation et le succès du groupe au Brésil occasionneront un bref retour de Naouri en politique en 2013. Il acceptera d’être le représentant spécial de Laurent Fabius pour les relations économiques au Brésil. Son rapport sera transmis en septembre 2015.

Il procède aussi au rachat de la plupart des magasins Le Mutant et les repeint au Leader Price. Ce qui en reste passera d’ailleurs aussi sous la bannière Leader Price. Et pour étendre encore un peu l’empire déjà immense, un supermarché Mandarine ouvrit ses portes à Abidjan.

Entrée sur le marché du e-commerce

Il talonne désormais le géant chinois Alibaba grâce à Cnova, une société portée aux fonts baptismaux en juin 2014. Dès sa création, la nouvelle société se lance très vite à la conquête du marché international et intègre les sites Cdiscount, les sites Casasbahia.com.br, Extra.com.br et Pontofrio.com. Elle a près de 15 millions de clients en Colombie France, en Côte d’Ivoire, en Équateur, au Sénégal, au Brésil, en Belgique et dans bien d’autres pays. Cnova offre une gamme de plus de 32 millions de produits. L’Institut français d’opinion publique a conduit en 2009 une enquête dénommée « les internautes et le e-commerce ». Selon cette étude, Cdiscount est le premier e-commerçant pour le secteur de l’électroménager et des hi-tech.

Un self-made-man exigeant et austère

On ne lui connait pas de petites histoires, de frasques qui l’éclaboussent et dont la rumeur traînerait à son compte. Il semble ne se mêler que de ses affaires qui sont à la fois une revanche personnelle sur ses détracteurs du ministère des Finances et un pied de nez à tous ceux qui en font un marginal parce qu’il n’est pas issu d’une dynastie et d’un grand nom.

C’est un PDG intransigeant, qui licencie sans ciller les sourcils. Sur la liste des collaborateurs dont il a ainsi rompu le contrat, on retient notamment Daniel Jambon, qui dirigeait des Cafétarias Casino. Dans la gestion quotidienne, c’est, aux dires de ses collaborateurs, un patron un peu autoritaire, qui laisse peu de place au débat.

Un homme engagé dans le social

Jean Charles Naouri n’était pas qu’un homme d’affaires. Il créa en 2000 la fondation Euris. Cette fondation attribue chaque année environ 40 bourses au profit de jeunes bacheliers provenant des zones d’éducation prioritaires.

Neuf ans plus tard, il crée une autre fondation, celle du groupe Casino. Comme la fondation Euris, la fondation du Casino sera dévouée à la cause des enfants défavorisés. Elle sera chargée de promouvoir l’accès à la connaissance pour les enfants issus des enfants en difficulté.

 

Que dire d’autres sur Jean-Charles Naouri ? on sait déjà qu’il est discret et réservé, qu’il ne se mêle pas trop des tourmentes de la mondanité. Il connait tout le monde au MEDEF, mais fréquente peu le milieu. On le voit rarement aux cérémonies officielles. C’est un épicier qui ne bouge pas de son comptoir, un comptoir lourd d’un chiffre d’affaires dépassant 22 milliards. À mi-chemin, entre le haut-fonctionnaire et le génie mathématique, célèbre pour son intelligence et pour sa réforme de l’économie française, il est désormais l’épicier international, l’une des plus grosses fortunes de la France. Il s’appelle Jean-Charles Naouri.